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Le Rallye Papa Noël
20 janvier 2011

Extrait du texte original (français)

 

 

LE RALLYE PAPA NOEL

 







 





« L’Aventure n’existe pas. Elle est dans l’esprit de celui qui la poursuit, et dès qu’il peut la toucher du doigt, elle s’évanouit pour renaître bien plus loin, sous une autre forme, aux limites de l’imagination ». Pierre Mac-Orlan.



 





















































à KAMA Bouné, victime à 11 ans du rallye Paris Dakar, le 8 janvier 2000

Cette pièce est adaptée d’une nouvelle éponyme parue dans le recueil « La soupe de Noël », du même auteur, publié par Gros Textes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉSUMÉ :

 

Frédéric Sandona, célèbre chirurgien parisien, participe en solo au rallye Paris Dakar, au volant du 4x4 qu’il a lui-même préparé. Ses enfants et sa femme attendent, admiratifs et impatients, son retour, persuadés qu’il reviendra vainqueur.

Quelque part dans une région du Sahel que traverse le rallye, deux enfants se rencontrent chaque matin, l’une, Kama à la rivière, et l’autre, Rhissa sur la falaise. Ils communiquent par signes et leur amitié grandit de jour en jour.

Mais une erreur de parcours de Frédéric Sandona provoque un accident qui bouleverse tout le village de Kama. Cette erreur est fatale pour le pilote. Pour Rhissa, ce drame est un signe, le moment de réaliser enfin un rêve qu’il porte en lui depuis longtemps.

 

DISTRIBUTION :

CHARLES

FLORE, sœur de Charles

LA MÈRE de Flore et de Charles

FRÉDÉRIC SANDONA, le père

RHISSA,

KAMA, l’amie de Rhissa

BABI, la chèvre

LA MÈRE DE KAMA (voix)

LES BONS GÉNIES

LES MAUVAIS GÉNIES

LE COPAIN de Rhissa

LE GROUPE DE COPAINS de Rhissa

LE CHEF DU VILLAGE de Kama

LE SORCIER DU VILLAGE de Kama

DES HABITANTS DU VILLAGE de Kama

 

 

 

 

 

 

 

Scène 1

 

 

La chambre d’enfants d’un appartement résidentiel, le soir, à Paris. L’intérieur dénote un mode de vie aisé.

Un arbre de Noël est illuminé. Une douce lumière émane d’un très grand aquarium.

Les enfants sont en pyjamas.

CHARLES joue d’une manière très concentrée et passionnée avec une console de jeux vidéos, en grignotant des gâteaux.

Flore, sa poupée dans les bras, regarde par la fenêtre, derrière la vitre. Elle semble s’ennuyer, se tourne parfois vers son frère et soupire.

 

CHARLES : Oui, allez, vas-y, oui, comme ça !

 

FLORE : Tu as bientôt fini, je m’ennuie, moi !

 

CHARLES : Allez, tourne, tourne, super, ha ! ha !

 

FLORE : Tu avais dit que tu jouerais avec moi, c’est pas juste !

 

CHARLES : Regarde, comme je les bats tous, celui-là aussi je le double, oui !

 

FLORE : J’en ai marre de regarder la tour Eiffel. Et puis tu vas encore manger tous les gâteaux.

 

CHARLES : Je suis le meilleur pilote du monde !

 

FLORE : Je me fiche de ton jeu débile. Maman a dit que tu faisais trop de console. Tu devais jouer avec moi en l’attendant, c’est pas juste.

 

CHARLES : J’ai gagné le super rallye, Champagne pour tout le monde ! Bon, ne chouine plus comme ça, Flore, on va jouer ensemble si tu veux.

 

Flore s’installe près d’une maison miniature et en sort différentes poupées.

 

FLORE : C’est pas trop tôt. Bon. Tu te souviens que Vaéna avait rencontré, l’été dernier en Floride, le beau John. Ils s’étaient tout de suite plus, ils avaient même, enfin heu… ils avaient un peu …

 

CHARLES : Flirté ?

 

FLORE : Heu… ils sont tombés amoureux quoi.

 

CHARLES soupire.

 

FLORE : Depuis son retour à Paris,Vaéna se languissait de son ami, elle délaissait ses études, John, lui, perdait la boule, alors les deux familles ont décidé que les amoureux devaient se voir à Noël, John est donc venu chez Vaéna pour les vacances.

 

CHARLES : Il dort où, dans sa chambre ? (CHARLES regarde l’intérieur de la maison de poupées.)

 

FLORE : Oui… non… je ne sais pas. Un jour, ils partent tous les deux en Normandie.

 

CHARLES : J’ai une idée :pour y aller, le père de Vaéna leur prête son super 4x4 ! (Flore soupire.) Vraoum vraoum… Regarde l’engin - la fidèle réplique du 4x4 de papa qu’il m’a offerte pour Noël - allez, en voiture, ils vont pouvoir frimer sur la côte ! Garé, là, devant leur hôtel… ils vont en faire des jaloux ! Vraoum vraoum…

 

Déçue, les bras ballants au bout desquels pendent ses poupées, Flore regarde son frère jouer tout seul avec la voiture. Elle fouille le paquet de gâteaux mais celui-ci est désespérément vide.

La mère de Flore et de CHARLES arrive, les bras chargés de paquets.

 

LA MÈRE : Les enfants, c’est moi !

Scène 2

 

 

La mère embrasse ses enfants.

 

FLORE : Maman, maman, des bisous!

 

CHARLES : Tu en as mis du temps.

 

LA MÈRE : Oh ! Mes pauvres amours, je suis désolée !


FLORE :
Charles a mangé tous les gâteaux.

 

CHARLES : C’est quoi ces paquets ?

 

LA MÈRE : Quelques bricoles, pour le nouvel an. Et là devinez ce que c’est, mes petits amours ?

 

FLORE : Un colis de papa !

 

LA MÈRE : De super papa ! Allez on l’ouvre ensemble.

 

Flore découvre et montre deux bocaux en verre emplis de sable.

 

FLORE : Qu’est-ce que c’est ? Oh… des sables, des sables du désert !

 

CHARLES : Encore ! Du sable encore du sable toujours du sable !

 

LA MÈRE : Regarde comme ils sont beaux ceux-là, ce ne sont pas les mêmes.

 

FLORE : Ça veut dire qu’il ne passe jamais au même endroit, et ça, qu’est-ce que c’est ?

 

CHARLES : Quand est-ce qu’il rentre papa, elle est trop longue cette course ?

 

LA MÈRE : Tu devrais regarder les informations, tu le verrais, comme l’autre fois.

 

CHARLES : Tu parles, on voit sa voiture de haut au milieu du désert, et juste sa main qui salue pendant trois secondes, puis ils passent à un autre concurrent.

 

LA MÈRE : Tu exagères, l’autre jour, ils l’ont interviewé. Ça, ma chérie c’est une lettre pour moi.

 

FLORE : Oh ! Lis-nous la, maman, s’il te plaît.

 

LA MÈRE : D’accord, mais après vous allez vous coucher.

« Ma chérie,

Aucun problème mécanique majeur n’est à déplorer. Tu imagines ma fierté, moi qui ai passé tant de temps à préparer mon 4x4. Je suis très bien placé au classement général, je garde bon espoir d’arriver en tête. Les paysages sont splendides, les gens sont très accueillants, ils nous saluent toujours lorsqu’on traverse un village. Je pense souvent à toi et aux enfants, à ma petite Flore si mignonne et à mon grand Charles dont je suis fier. Je t’aime mon amour, ma femme pour la vie. »

 

FLORE : Maman, tu pleures ?

 

La mère : Allez au lit, les petits diables !

 

FLORE : Maman, attends, l’aquarium ! Viens Charles, on le fait ensemble.

 

Près de l’aquarium, lesenfants dévissent chacun le couvercle d’un bocal.

 

FLORE : Attention, tu es prêt ? Très lentement.

 

Tendant les bras par-dessus l’aquarium, ils vident doucement les deux bocaux. Le sable brillant tombe lentement au fond de l’eau.

 

FLORE : C’est beau, regarde, ça fait une nouvelle couche au fond.

 

LA MÈRE : Allez, les trésors, il est tard !

 

Lesenfants se glissent dans leurs lits.

 

LA MÈRE : Un bisou pour mon beau Charles, dors bien mon ange.

Un bisou pour ma petite Flore, dors bien ma princesse.

 

LES ENFANTS : Bonne nuit maman.

 

La mère, dans sa chambre, s’assied à la tête de son lit. Elle punaise la lettre au mur, au-dessus de la lampe de chevet, la missive va rejoindre ses sœurs jumelles qui sont déjà épinglées. Puis elle pleure.

 

FLORE : Charles, tu dors ?

 

CHARLES : Quoi ?

 

FLORE : Je sais ce qu’il y a d’écrit sur la lettre de papa, ce n’est pas ce que maman nous lit.

 

CHARLES : Tu veux dire qu’à chaque fois elle invente pour nous ?

 

FLORE : Il y a écrit, juste : « Je t’aime ». Juste ces deux mots sur la grande feuille blanche. A chaque fois.

 

CHARLES : Et alors ?

 

FLORE : Tu comprends rien, dors. Pauvre maman.

 

Le sable brillant tombe sur les enfants.

 

Un temps.

 

CHARLES se lève et joue avec son 4x4, sans faire de bruit.

 

Scène 3

 

 

Le jeu avec le véhicule devient progressivement réaliste. Le bolide subit un parcours fait de chaos, de virages difficiles, de sauts délicats, CHARLES imite les différents bruits du 4x4 et mime les mouvements du conducteur.

Puis, toujours en menant son jouet, le garçon prend l’attitude et le ton d’un commentateur sportif d’une chaîne de télévision.

 

CHARLES : Ici Charles Charles, dit double Charles, sur « France Vive le Sport », en direct du « Grand rallye du Sahel », sous un soleil de plomb, 38° à l’ombre!

 

Frédéric Sandona apparaît au volant de son 4x4, avec casque et combinaison. Le fait d’être sanglé ne l’empêche pas d’être secoué et bousculé.

CHARLES, à présent, a délaissé son jouet au profit d’un micro imaginaire, il commente la course comme un journaliste.

 

CHARLES : Épreuve éprouvante aujourd’hui, pour les hommes et le matériel, à l’image de ce rallye qui ne ménage pas les surprises. À bord de notre hélicoptère, nous survolons maintenant le 4x4, conduit d’une main de maître, par Frédéric Sandona.

 

Rappelons que ce pilote, célèbre chirurgien parisien, s’est engagé seul dans cette course, sans assistance. Quel courage, quelle volonté ! Chaque soir, au bivouac, l’homme fait l’admiration de ses collègues.

 

Il y a quelques jours, Frédéric Sandona nous confiait timidement son secret : le fait de penser à sa femme et à ses enfants l’aidait à tenir moralement. Nous les saluons de sa part. Ils peuvent être fiers de leur pilote favori !

 

Avant de nous quitter, je vous laisse savourer quelques images de rêves, prises lorsque nous avons survolé le fleuve puis les hauts plateaux de cette partie du désert sahélien.

À demain pour notre prochaine émission « Le plein de sable » !

 

Musique traditionnelle d’une région sahélienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène 4

 

 

 

À l’intérieur de la hutte en terre où dort KAMA, allongée sur une natte. Le coq chante à plusieurs reprises. Un son régulier provient de la cour, à l’extérieur, la MÈRE de KAMA pile du mil.

Alors que le jour pointe, LES BONS GÉNIES s’activent encore autour de KAMA. Ils nettoient, rangent, tout en s’amusant, ils font des cabrioles, s’arrêtent parfois pour regarder KAMA dormir, sautent par-dessus elle, ils se disputent des miettes de nourriture, se lancent des objets.

Première alerte : la voix de LA MÈRE DE KAMA retentit. LES BONS GÉNIES s’immobilisent, inquiets.

 

LA MÈRE DE KAMA : Kama, réveille-toi, c’est l’heure, il faut te lever !

 

KAMA bouge un peu en émettant un petit son.

Puis LES BONS GÉNIES reprennent leurs activités.

 

Seconde alerte : la voix de LA MÈRE DE KAMA retentit à nouveau. LES BONS GÉNIES s’immobilisent, inquiets.

 

LA MÈRE DE KAMA : Kama, allez debout ma fille, il y a du travail!

 

KAMA bouge davantage en émettant un grognement.

Puis LES BONS GÉNIES reprennent leurs activités.

 

Dernière alerte : la voix de LA MÈRE DE KAMA retentit à nouveau. LES BONS GÉNIES s’immobilisent, inquiets.

 

LA MÈRE DE KAMA : Dépêche-toi, le soleil monte, quand tu rentreras de la rivière tu pileras le mil. Je t’ai préparé ta galette. Je vais rejoindre ton père aux champs, tes frères et sœurs y sont déjà.

 

KAMA se tourne et s’étire. LES BONS GÉNIES s’enfuient en courant pour disparaître. KAMA s’assied puis se lève. Elle fait quelques pas dans la pièce, heureuse de voir que tout est bien rangé et que le ménage a été fait. Elle sort dans la cour, éblouie par le soleil, accueillie par un bêlement de la chèvre BABI.

 

BABI : Bbêêê… Bonjour Kama !

 

KAMA prend la galette préparée par sa mère dans un récipient en terre. Elle se saisit de la bassine vide et se dirige vers BABI pour la détacher.

 

BABI : Bbêêê… Tu pourrais me répondre quand je te dis bonjour !

 

KAMA : Bonjour Babi !

 

BABI : Bbêêê… Ah bien quand même !

 

KAMA : Allez, en route, ne soyons pas en retard.

 

BABI : Bbêêê… Je parie une poignée de grains que j’arrive la première !

 

 

 

Scène 5

 

 

Musique traditionnelle.

Village de RHISSA. Le garçon joue au foot avec des copains. Ils tapent dans une balle de chiffons devant des buts limités par deux pierres. Une affiche froissée d’Eric Cantona est fixée à une branche. Des cris de victoire retentissent.

 

RHISSA : À moi l’affiche, c’est moi le meilleur, j’ai gagné donc je remporte l’affiche, hourra ! À moi Éric Cantona !

 

RHISSA embrasse l’affiche et l’emporte avec lui. Les copains protestent.

 

RHISSA : Allez, laissez-moi tranquille, j’ai gagné, c’est tout. Je vais vous dire pourquoi vous êtes jaloux. Parce que lui, c’est mon père. Alors vous pouvez vous faire tout petit petit !

 

Les copains s’éloignent, RHISSA reste seul avec l’un d’eux. Ils marchent côte à côte en jouant avec la balle.

 

LE COPAIN : Dis-donc, Rhissa, qu’est-ce que tu racontes au sujet de ton père, tout le monde sait que c’est « Ouman Itaire »!

 

RHISSA : Tu l’as déjà vu, toi « Ouman Itaire » ? Jamais il n’est venu me voir.

 

LE COPAIN : C’est le sorcier qui l’a dit.

 

RHISSA : Si on n’a pas de père, on a le droit d’en choisir un. Et ça c’est moi qui le dit. Le mien, c’est Éric Cantona.

 

LE COPAIN : Même que c’était un « Ouman Itaire » blanc. C’est pour ça que tu n’as pas la même couleur que nous.

 

RHISSA : Oh ! Fiche-moi la paix, j’ai à faire maintenant ! Allez à demain !

 

LE COPAIN : Bon, à demain.

 

Ils frappent dans leurs mains. Le copain s’éloigne, RHISSA va s’asseoir au bord de la falaise. Il roule son affiche, puis scrute le paysage qui s’étend à ses pieds.

 

 

 

 

Scène 6

 

 

Babi la chèvre a déjà les pattes dans l’eau et boit de grandes gorgées, quand KAMA y trempe les pieds à son tour.

 

BABI : Bbêêê… J’ai gagné, tu me dois une poignée de grains, bbêêê…

 

KAMA : Hi ! Hi ! Elle encore fraîche !

 

BABI : Bbêêê…

 

KAMA fait ses ablutions, elle se mouille le visage, les bras, puis les jambes. Elle chante. La chanson de la rivière.

 

KAMA : Elle est bonne cette eau, hein Babi ? Si tu en bois trop tu vas être tellement lourde que tu ne pourras plus revenir!

 

BABI : Bbêêê… J’en bois autant que je veux… bbêêê… Et maintenant, je vais me régaler en broutant quelques bonnes herbes sur la rive… bbêêê… Autant que je veux… bbêêê…

 

KAMA, en chantant, les pieds dans l’eau, sort de sous un tas de feuilles un morceau de miroir et un flacon de khôl. Elle maquille ses yeux en les soulignant délicatement avec la poudre.

 

KAMA : Babi, ma chèvre adorée, dis-moi si je suis belle ?

 

BABI : Bbêêê… Bien sûr Kama, tu es la plus belle, bbêêê… Pourquoi tu te maquilles comme ça ?

 

KAMA : J’aimerais tant un jour pouvoir le rejoindre, là-bas, mais c’est haut, c’est loin ! Allez, il ne faut pas que je sois en retard.

 

 

 

 

Scène 7

 

 

RHISSA, sur le bord de la falaise, et KAMA, les pieds dans l’eau. Ils orientent leur miroir l’un vers l’autre, en réfléchissant les rayons du soleil. Ils se sont inventé une langue faite de signaux lumineux. Ainsi ils peuvent se parler, même en étant éloignés l’un de l’autre.

 

KAMA : Rhissa, tu es là ?

 

RHISSA : Bonjour Kama !

 

KAMA : Je suis avec Babi la gourmande ! Elle s’est endormie à l’ombre.

 

BABI : Bbêêê… Qui a dit que j’étais une gourmande ? Bbêêê…

 

RHISSA : C’est bien d’avoir une chèvre !

 

KAMA : Surtout qu’elle nous donne du bon lait. C’est la meilleure du village. Mon père en est fier.

 

RHISSA : Mais il faut faire attention aux lions, cette nuit en me promenant, j’ai entendu Mamou la lionne.

 

KAMA : Tu n’as pas peur, la nuit ?

 

RHISSA : Je connais tous les bruits du noir, ceux des fauves comme ceux des serpents, le vol des oiseaux et celui des chauves-souris. Cette nuit j’ai croisé Rico, le gros singe. Je m’oriente grâce aux étoiles.

 

KAMA : Et les génies, tu les as déjà vus ?

 

RHISSA : Il y a les mauvais et les bons. Pour les voir, il faut être très prudent et surtout très patient.

 

KAMA : Dans notre case, il y a des bons génies. Je le sais parce que la nuit, ils rangent et nettoient tout. C’est drôlement bien, comme cela, maman croit que c’est moi qui tient tout en ordre, pour me remercier elle me laisse dormir un peu plus le matin !

 

RHISSA : Kama, c’est comment un père ?

 

KAMA : Tu veux dire… comme mon papa ? Bien… je ne le vois pas tout le temps, j’aime bien quand il s’assoit dans la cour. Il raconte des histoires, il parle de son voyage à la grande ville, du village où il habitait quand il était petit… il sait plein de choses sur les plantes, celles qui se mangent et celles qui empoisonnent… j’aime bien quand il est là.

 

RHISSA : Je vais te dire un secret. Mon père va venir un jour. C’est pour bientôt. Chaque matin, on viendra s’asseoir ici au bord de la falaise, pour regarder le lever du soleil : l’embrasement de la plaine encore endormie, celui de la rivière, proche, au loin celui de ton village, et à l’horizon le flamboiement des dunes.

 

KAMA : C’est très beau ce que tu dis, Rhissa.

 

RHISSA : Pas aussi beau que quand tu chantes.

 

KAMA : Mais tu ne m’entends pas.

 

RHISSA : Je le devine, Kama.

 

Musique et chant.

Scène 8

 

 

Musique et chant.

KAMA range délicatement le miroir et le flacon de khôl dans un bout d’étoffe, qu’elle cache précieusement sous un tas de feuilles.

 

KAMA : Babi, le soleil est haut, il faut y aller.

Moi aussi je resterais bien les pieds dans l’eau, mais nous devons rentrer, allez ma vieille !

 

BABI : Bbêêê… Qui est vieille, ici ? D’accord, on y va.

 

KAMA a chargé la bassine pleine d’eau sur sa tête, elle marche avec précaution, suivie péniblement par BABI.

 

BABI : Bbêêê…. Hé ! Pas si vite, je n’ai que quatre pattes, moi ! Bbêêê…

 

KAMA : Dépêche-toi Babi, regarde, la brume de chaleur monte, si on tarde trop les mauvais génies vont sortir.

 

BABI : Bbêêê… Où ça ? Attends-moi Kama, attends-moi, bbêêê… !

 

les mauvais génies, se glissent autour de BABI pour tenter de l’apeurer. Elle sursaute, parfois accélère le pas ou bien se cache les yeux.

KAMA pose sa bassine d’eau pour se reposer la nuque et attendre BABI.

 

KAMA : Les mauvais génies sortent du sol par bandes. Ils te font perdre la tête, mangent la poussière, te la crachent à la figure, sifflent à tes oreilles.

 

BABI : Bbêêê… Parfois ils font surgir des monstres hurlant qui disparaissent dans un nuage de sable. Bbêêê…

 

Babi se serre tout contre KAMA pour se protéger .

KAMA reprend sa bassine puis se remet en route, suivie difficilement par Babi.

 

KAMA : Tu te rappelles, quand je me suis perdue ? Mon père m’a retrouvée recroquevillée sous un buisson, grâce à toi qui bêlait de frayeur.

 

BABI : On n’a plus jamais revu Kikou la brebis, Badou la vache a disparu mystérieusement… Bbêêê… Ne va pas si vite !

 

KAMA : Voilà le village. Plus que la piste à traverser et nous serons à la maison. La bassine sera la bienvenue.

 

BABI : Bbêêê… Sauvées !

 

BABI se retourne vers LES MAUVAIS GÉNIES pour leur tirer la langue. Ils disparaissent. Le bruit de moteur du 4x4 se fait entendre.

 

 

 

Scène 9

 

 

Bruits du 4x4 en action.

CHARLES, toujours en pyjama, commente la course, un micro imaginaire à la main.

FRÉDÉRIC SANDONA est au volant de son véhicule.

 

CHARLES : Chers téléspectateurs, nous retrouvons le célèbre pilote Frédéric Sandona, dans notre reportage sur le « Grand Rallye du Sahel ». Notre pilote affiche les meilleurs temps pour l’épreuve d’aujourd’hui.

Cher Frédéric Sandona, pourriez-vous nous dire ce qui vous attire à ce point dans cette course ?

 

FRÉDÉRIC SANDONA : Bonjour à tous. Vous savez, sans risque, il n’y a pas d’émotion. J’aime ce pays, l’Afrique si généreuse, et ses habitants. Ici j’ai le sentiment d’être à la fois vivant et libre.

 

CHARLES : Mais quelle relation faites-vous entre cette aventure et votre métier de chirurgien ?

 

FRÉDÉRIC SANDONA : Les deux exigent une vigilance hors du commun. Ici, je peux tester mes limites. C’est quelque chose que je ne peux pas faire dans mon métier de chirurgien. Jamais je ne risquerai la vie de mes patients.

 

CHARLES : C’est pour cela que vous avez une telle renommée. Tout de même, Frédéric Sandona, n’y-a-t-il pas quelque chose que vous craignez par-dessus tout ?

 

Frédéric Sandona : La chaleur. La chaleur engourdit les chairs et les esprits. Sa brûlure est un chant invisible qui rend ivre sans comprendre. Sur cette terre d’Afrique, des lieux existent pour cette magie. Seuls, les sorciers les connaissent, les calment et les enchantent par des cérémonies mystérieuses.

 

Bruits de parasites télévisuels. CHARLES abandonne le micro imaginaire pour manipuler, tout en parlant, le 4x4 jouet.

 

CHARLES : Il semblerait que notre communication avec Frédéric Sandona soit interrompue.

La chaleur monte. Le pilote roule comme un fou. Sur la piste de latérite surchauffée, les brumes absorbent le bolide. Frédéric fonce. Il ne s’aperçoit pas que de chaque côté, ce ne sont pas des rochers qui défilent mais des petites maisons en terre. Il ne s’aperçoit pas qu’il traverse comme un dingue un village d’Afrique. Au dernier moment, il lui semble distinguer une petite forme humaine. Le choc est violent, mou, sanglant.

 

Frédéric Sandona hurle.

 

CHARLES : Le pilote ne lâche ni le volant, ni l’accélérateur. Dans le rétroviseur, une forme vague retombe au sol. Le pare-brise se couvre de sang et de morceaux de chair, que le pilote chasse à coup d’essuie-glaces. Puis l’engin disparaît dans la poussière.

 

Les bruits du véhicule s’éloignent.

 

 

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Le Rallye Papa Noël
  • Pièce de théâtre tout public. Création franco-malienne d'après l'oeuvre de Michel Gendarme. Mise en scène par Juliette Lasserre-Mistaudy, de Siphonart, produit par Acrocs Productions, coproduction compagnie Rouletabille et Acte Sept
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